Julien, Le Petit Bar by_jpaquin©
Les hivers à Rouen, les étés ailleurs. Julien fait des saisons. Mais le monde de la gastronomie le déçoit, il quitte le milieu. Dix ans passés dans une grande entreprise, et c’est à nouveau le déclic. Les défis qu’il se plaît à relever, l’étincelle dans les yeux de ses clients, son émerveillement. Rencontre avec ce bartender, pionnier du cocktail rouennais.
Julien, tu peux nous parler de ton parcours ?
Lorsque j’ai terminé le collège, je me suis directement orienté vers la restauration en BTS. Après avoir obtenu mon diplôme, je suis parti faire les saisons d’été. Je venais à Rouen pour les saisons d’hiver, mais j’ai eu du mal à trouver un restaurant qui avait l’éthique que je cherchais. Par la suite, j’ai rapidement été dégoûté par ce monde donc je me suis recyclé, et pendant dix ans, j’ai travaillé dans la communication, pour l’entreprise Konica Minolta, une grosse entreprise japonaise d’informatique.
Après un temps, être derrière un bureau ne me plaisait plus, du coup, j’ai pris une année sabbatique et je suis parti trois mois à Marrakech pour faire la fête puis je suis rentré à Rouen. À ce moment-là, je me suis retrouvé à la Fée Torchette qui est un bar à cocktails de passionnés. Il y avait David, mon mentor, Agata qui était l’inventivité du trio et Julien le patron. Ils sont devenus mes inspirations. J’ai travaillé un premier week-end et finalement, j’y suis resté 3 ans. Avec Julien, nous avons ouvert Le Petit Bar, là-bas, j’ai réellement pu me lâcher dans la créativité avec une palette de saveurs qui nous permet de travailler avec les liqueurs H.Theoria.
Comment se situe Rouen niveau cocktail ?
Je suis un peu le pionnier à ce sujet. La majorité des établissements servent des cocktails basiques tels que le Mojito. Au moment où j’arrive, j’ai la volonté d’initier de nouveaux produits aux clients et j’en ai au moins trois par soir qui me disent : « Que vas-tu me faire découvrir aujourd’hui ? ». Ce que j’aime derrière cette initiative, c’est que l’élaboration d’un cocktail passe par pleins de choses, dont l’odeur. C’est pour ça que j’adore les liqueurs H.Theoria, et que j’aime faire découvrir ces produits aux clients.
Qu’est-ce qui t’inspire quand tu fais un cocktail ?
Je me lance des défis. À l’époque de la Fée Torchette, des clients me donnaient un mot et je devais créer un cocktail autour de ce mot.
Tu connais l’importance que nous accordons aux mots, spontanément, quel serait un de tes mots fétiches de par son sens ?
Pour le sens du mot c’est peut-être basique mais partage. Sinon émerveillement.
Dans un monde où tout est possible, comment serait le cocktail Émerveillement ?
Il serait frais, léger mais également surprenant. Un cocktail qui donne l’impression d’être au soleil en plein milieu d’un désert de glace. Un sucré/salé du cocktail. Finalement un gris, ni noir, ni blanc. En effet, je suis comme ça, je suis prêt à tout comprendre et à tout accepter, je m’émerveille.
Quels sont les trois produits dont tu ne pourrais pas te passer pour faire un cocktail ?
Pour commencer, je dirai le Gin, et plus précisément un Beefheater 24 pour la netteté dans son goût et sa force. Ensuite la Bénédictine et finalement un Bitter Tiki, et le petit plus c’est de mettre une de vos liqueurs.
S’il fallait boire un cocktail avant de mourir, ce serait lequel ?
Un White Negroni. Il est composé de Gin, de Lillet et de Vermouth, ou de Suze. Sinon il y a deux cocktails qui me tiennent à cœur, car mon livre de chevet, c’est L’Art du Cocktail de Sasha Petraske. D’abord le Sutter’s Mill avec de la purée d’ananas, du miel, du citron et du bourbon. À son opposé, le Penicillin parce qu’il y a du gingembre, du sirop de miel de thym, du Bowmore, un whisky tourbé qui apporte le côté fumé, et du bourbon.
Quelles sont les figures que tu admires ?
Il y a évidemment David, mon mentor. Ensuite Chris Briand, qui est la plus belle rencontre de ces 12 derniers mois en ce qui me concerne. Son travail et son inventivité dans le choix des produits m’inspirent, j’ai envie d’être Chris (rire). Sinon je suis plus inspiré par des établissements comme le Mag Cafè à Milan, j’ai adoré le Little Red Door ou encore Le Bisou à Paris, et finalement The Insólito à Lisbonne où j’ai bu le meilleur Bloody Mary de ma vie.
Est-ce que tu as un film préféré ?
La Cité de la Peur, j’adore ce film, sinon Requiem for a Dream.
Qu’est-ce qu’il faut boire pour regarder ces films ?
Pour la Cité de la Peur, un 250 shade of James, c’est le cocktail gagnant de la coupe du monde des cocktails en 2016 avec un très bon rhum agricole, de la crème de cassis, de la purée d’ananas, du gingembre et du citron. Ensuite, pour Requiem for a Dream, un Old Fashion, pour le côté simple et rassurant parce que le film ne l’est pas (rire).
Tu fais des cocktails sans alcool ? Ça t’inspire autant ?
On a deux cocktails sans alcool à la carte. Je suis moins inspiré, car j’ai l’impression de ne pas pouvoir apporter ce que je veux au niveau des saveurs. Cependant, je pars de l’idée que certaines personnes ne boivent pas d’alcool. Je le prends donc comme un défi et j’adore les défis.
Il y a de plus en plus de chefs qui font des accords mets/cocktail, est-ce que tu aimes travailler avec un chef ?
Bien sûr, nous n’utilisons pas les mêmes produits, mais on parle la même langue. C’est notre palais, notre nez, notre œil qui fait que l’on réalise quelque chose, que ça soit dans une assiette ou dans un verre.
Selon toi, qu’est-ce qu’un bon pairing ?
Comme pour le montage d’un cocktail, les trois éléments principaux pour réaliser un plat sont le visuel, le nez et le palais. Il faut que le cocktail apporte quelque chose et non qu’il se colle sur le plat. Il faut prendre une bouchée du plat et que la saveur encore dans la bouche soit transformée par le cocktail, créer une deuxième sensation, un deuxième émerveillement. Il faut réussir à surprendre.
Tu as découvert H.Theoria à la parfumerie Berry, quelle est ta liqueur préférée ?
Electric Velvet (ex Hystérie) parce qu'elle a une subtilité. J’ai besoin d’émotions et je pense que c’est la liqueur qui me correspond le mieux. D’ailleurs, de temps en temps, j’ouvre la bouteille, je la sens, et ça me fait du bien (rire).
Un vice qui te manque sur ton étagère ?
La luxure.
Quel est le plus beau défaut qu’il faut avoir pour être un bon bartender ?
Je dirai l’oubli de soi. On crée un cocktail avec nos tripes, mais il faut savoir s’oublier car on le fait pour le client et non pour soi. Je pense que c’est un défaut, à trop s’oublier on ne sait plus ce qu’on fait. Finalement la priorité, c’est l’étincelle dans les yeux du client.